
La baleine est un sujet récurrent dans la littérature. Tour à tour monstre assoiffé de sang ou illusion terrestre, la baleine a fait l'objet de multiples représentations. On découvre ainsi :
« Le temps était calme, la mer tranquille. Mais souvent le retour au bonheur n'est que le présage de plus grandes infortunes ! Il y avait deux jours que notre vaisseau voguait paisiblement sur l'Océan, lorsque, le quatrième, au lever du soleil, nous voyons paraître tout à coup une quantité prodigieuse de monstres marins et de baleines. La plus énorme de toutes était de la longueur de quinze cents stades. Ce monstre nage vers nous la gueule béante, troublant au loin la mer, faisant voler l'écume de toutes parts, et montrant des dents beaucoup plus grosses que nos phallus, aiguës comme des pieux et blanches comme de l'ivoire. Nous nous disons alors le dernier adieu, nous nous embrassons et nous attendons. La baleine arrive, qui nous avale et nous engloutit avec notre vaisseau. Par bonheur elle ne serra pas les dents, ce qui nous eût écrasés, mais le navire put couler à travers les interstices.
A l'intérieur, ce ne sont d'abord que ténèbres, parmi lesquelles nous ne distinguons rien ; mais bientôt, le monstre ayant ouvert la gueule, nous apercevons une vaste cavité, si large et si profonde qu'on aurait pu y loger une ville et dix mille hommes. Au milieu, on voyait un amas de petits poissons, des débris d'animaux, des voiles et des ancres de navires, des ossements d'hommes, des ballots, et, plus loin, une terre et des montagnes, formées, sans doute, par le limon que la baleine avalait. Il s'y était produit une forêt avec des arbres de toute espèce ; des légumes y poussaient, et l'on eût dit une campagne en fort bon état. »
Extrait Histoires vraies - Premier tome, de Lucien de Samosate
Retour« Dans le cours de notre navigation, nous abordâmes à plusieurs îles et nous y vendîmes ou échangeâmes nos marchandises. Un jour que nous étions à la voile, le calme nous prit vis-à-vis une petite île presque à fleur d'eau, qui ressemblait à une prairie par sa verdure. Le capitaine fit plier les voiles, et permet de prendre terre aux personnes de l'équipage qui voulurent y descendre. Je fus du nombre de ceux qui y débarquèrent. Mais, dans le temps que nous nous divertissions à boire et à manger, et à nous délasser de la fatigue de la mer, l'île trembla tout à coup, et nous donna une rude secousse... »
A ces mots, Shéhérazade s'arrêta, parce que le jour commençait à paraître. Elle reprit ainsi son discours sur la fin de la nuit suivante :
Sindbad, poursuivant son histoire :
« On s'aperçut, dit-il, du tremblement de l'île dans le vaisseau, d'où l'on nous cria de nous rembarquer promptement ; que nous allions tous périr ; que ce que nous prenions pour une île était le dos d'une baleine. Les plus diligents se sauvèrent dans la chaloupe, d'autres se jetèrent à la nage. Pour moi, j'étais encore sur l'île, ou plutôt sur la baleine, lorsqu'elle se plongea dans la mer, et je n'eus que le temps de me pendre à une pièce de bois qu'on avait apportée du vaisseau pour faire du feu. Cependant, le capitaine, après avoir reçu sur son bord les gens qui étaient dans la chaloupe et recueilli quelques-uns de ceux qui nageaient, voulut profiter d'un vent frais et favorable qui s'était levé ; il fit hausser les voiles, et m'ôta par là l'espérance de gagner le vaisseau. »
Extrait Les mille et une nuits -Premier voyage de Sindbad le marin, traduit de l'arabe par A. Galland
Retour« Le prestige originel du cachalot, en tant que monstre distinct de tout autre espèce de Léviathan, demeure intact, maintenant encore, dans l'esprit des baleiniers. Et certains encore parmi eux, bien qu'intelligents et courageux lorsqu'il s'agit de chasser la baleine du Groenland ou baleine franche, refuseraient le combat avec le cachalot, soit par manque d'expérience professionnelle, soit par incompétence ou par timidité. En tout cas, il y a bien des baleiniers [...] qui n'ont jamais engagé la lutte contre le cachalot et dont la seule connaissance du Léviathan se borne à celle du monstre ignoble primitivement poursuivi dans le Nord. Ces hommes-là, assis sur le panneau, pareils aux enfants auxquels on raconte une histoire au coin du feu, écoutent avec un intérêt respectueux les histoires sauvages et étranges des expéditions baleinières dans les mers du Sud. Nulle part, la souveraineté terrifiante du cachalot n'est ressentie avec autant de sensibilité qu'au gaillard d'avant de ces navires qui s'en écartent.
Sa puissance, maintenant prouvée, projetait autrefois une ombre légendaire jusque dans les récits de certains naturalistes ; Olafsen et Powelsen déclarent que non seulement le cachalot est la terreur de tout ce qui vit dans la mer mais que son incroyable férocité lui donne une soif inextinguible de sang humain. De semblables idées n'avaient pas disparu au temps de Cuvier. Dans son Histoire naturelle, le baron affirme qu'à la vue d'un cachalot, tous les poissons, requins y compris, « sont frappés des plus vives terreurs » et que « souvent dans la hâte qu'ils mettent à fuir, ils se précipitent contre des rochers avec une violence telle que leur mort est instantanée ». L'expérience générale de la pêcherie peut bien compenser des remarques de cette nature, mais leur ampleur tragique confirme les baleiniers dans leurs croyances superstitieuses, même au sujet de la soif sanguinaire dont parle Powelsen, et surtout lorsque des vicissitudes les invitent à y penser. »
Extrait de Moby Dick, d'Herman Melville, 1851
Retour« Nageant au hasard, Pinocchio aperçut un rocher blanc comme du marbre. [...] Redoublant d'effort, il se dirigea vers le rocher blanc. C'est alors que surgit une tête horrible, celle d'un monstre marin qui venait à sa rencontre. Sa bouche grande ouverte était un gouffre et découvrait trois rangées de dents à faire peur même en dessin. Et vous savez qui était ce monstre marin ? C'était, ni plus ni moins, ce gigantesque Requin [...] et que l'on surnommait, à cause de ses nombreux massacres et de son insatiable voracité, l'Attila des poissons et des pécheurs. Vous imaginez l'épouvante qui saisit le pauvre Pinocchio à la vue de ce monstre ! Il essaya de l'éviter, de changer de route, de le fuir mais l'énorme bouche s'approchait à la vitesse d'une flèche. [...] Le monstre l'avait rejoint et aspira la pauvre marionnette comme on gobe un œuf. Ce fut si violent que Pinocchio, dégringolant dans le corps du Requin. »
Extrait Les aventures de Pinocchio : Histoire d'une marionnette, de Carlo Collodi, 1881
Retour« Le capitaine Nemo observa le troupeau de cétacés qui se jouait sur les eaux à un mille du Nautilus.
« Ce sont des baleines australes, dit-il. Il y a là la fortune d'une flotte de baleiniers.
- Eh bien ! Monsieur, demanda le Canadien, ne pourrais-je leur donner la chasse, ne fùt-ce que pour ne pas oublier mon ancien métier de harponneur ?
- à quoi bon, répondit le capitaine Nemo, chasser uniquement pour détruire ! Nous n'avons que faire d'huile de baleine à bord.
- Cependant, monsieur, reprit le Canadien, dans la mer Rouge, vous nous avez autorisés à poursuivre un dugong !
- Il s'agissait alors de procurer de la viande fraîche à mon équipage. Ici, ce serait tuer pour tuer. Je sais bien que c'est un privilège réservé à l'homme, mais je n'admets pas ces passe-temps meurtriers. En détruisant la baleine australe comme la baleine franche, êtres inoffensifs et bons, vos pareils, maître Land, commettent une action blâmable. C'est ainsi qu'ils ont déjà dépeuplé toute la baie de Baffin, et qu'ils anéantiront une classe d'animaux utiles. Laissez donc tranquilles ces malheureux cétacés. Ils ont bien assez de leurs ennemis naturels, les cachalots, les espadons et les scies, sans que vous vous en mêliez. »
Je laisse à imaginer la figure que faisait le Canadien pendant ce cours de morale. Donner de semblables raisons à un chasseur, c'était perdre ses paroles. Ned Land regardait le capitaine Nemo et ne comprenait évidemment pas ce qu'il voulait lui dire. Cependant, le capitaine avait raison. L'acharnement barbare et inconsidéré des pêcheurs fera disparaître un jour la dernière baleine de l'océan. »
Extrait Vingt mille lieux sous les mers, de Jules Verne, 1869
Retour